Article littéraire à l’occasion du 18 mai 2023 sur les » Écrit pour conjurer la honte » <<textes réunis par chantal Kénol et Lyonel Trouillot >> – AZ-INFOS
<< Les fleurs du mal >> d’Haïti, si j’emprunte à Beaudelaire…
Il semble qu’en Haïti, toute la joie de vivre et le malheur du monde se soient donnés rendez-vous, disait Catherine Hermary-Vieille dans la préface de << La danse sur le volcan >> , un super Roman de Marie Vieux Chauvet. 1804 à 2004, il nous fallait l’histoire, seule fusée permettant de voyager dans la vieillesse du temps dans une peau de jeunesse pour explorer les décombres de la lune de notre si glorieux passé. Deux cents ans en deux cents saisons sèches. Deux cents ans dans la falaise épineuse de la mort. Oui ! deux siècles de la mort de la souveraineté empoisonnée par le venin des fleurs du mal d’Haïti. Des fleurs de toute couleur : noire, jaune, blanche. Des fleurs anthropophages. Des fleurs noires. Des fleurs jaunes. Des fleurs blanches. Des fleurs mauves. Des fleurs sauvages. Des fleurs de rage. Des jeunes fleurs. Des vieilles fleurs. Des fleurs sèches. L’indépendance n’est qu’un vin sans saveur. Mais malgré la saison des poussières les vitres de certains citoyens sont propres. C’est ainsi qu’ils nous proposent les << Écrits pour conjurer la honte>>
Conjurer quelle honte ? Des écrits pour conjurer la honte d’Haïti trahie par ses fils dégénérés. Des écrits pour conjurer la honte de la lune ne pouvant plus regarder le sang, et change de quartier. Des écrits pour conjurer la honte de voir souiller le sol de Dessalines avec des grosses bottes qui tuent la flamme de notre dignité en 1915-1934, 1994 et 2004. Pour une énième fois Dessalines est assassiné, Charlemagne Péralte a disparu sous l’ombrage du grand bec de l’aigle. Militaires renégats, vous allez juger au tribunal de l’histoire. Politiciens malhonnêtes, si la honte était une science il faudrait l’intégrer dans le cursus de l’Université pour vous l’apprendre. Bourgeois makoklen, que les zombis infimes se mettent debout réclamer la restitution de leur force de travail. Des apatrides se font complices de ces aigles aux ailes malédictives qui planent le deuil sur nos têtes. Qui donc ira jeter des fleurs au pont rouge à Vertières
au Champs de Mars
Les offrandes coulées dans la honte
blessent
Les yeux ne portent pas de printemps
si la nuit
n’annonce l’aurore prévu.
Mon cher poète Philoctècte, heureusement que les morts ne sont que des fumiers de la terre sinon ils étrangleraient ces Conzés qui osent jeter des fleurs au Pont Rouge, à Vertières et au Champ de Mars. Les formules patriotiques de Dupré ; << Si quelques jours sur tes rives Reparaissent nos tyrans Que leurs hors primitives
Servent d’engrais à nos champs >>,
passent à l’oubliette dans leur mémoire infidèle qui ne retient que des fatras et l’atavisme de bassesse coloniale esclavagiste que leurs pères ont jeté à la mer. Camarade, il nous faut une prière pour ne pas oublier la mère. Oui ! pour ne pas oublier cette mère qui nous a donné trois sœurs aînées dignes de leurs noms : Liberté, Égalité, Fraternité. Il faut que nos enfants savent par cœur cette prière qui rattachera leur tronc à la racine de leur grand-mère. Qui inventera cette prière ? Une prière de vie d’un patriote qui n’hésitera pas de mourir pour la vie de la patrie. Une prière malédictives embrigadant la marche du soleil sur les cadavres. Une prière de gloire et de fierté. Une prière qui sortira des lèvres de quelqu’un qui planent du châtiment sur la tête du diable. Une prière du poète Carlo Rézil :
<< La mezonblanch, men pa w !
La mezonblanch, men pa w !
W a sispann foure je w nan zafè Moun
W a sispann foure je w nan zafè Moun >>.
Oh pipirite ! chantant la nostalgie du passé héroïque d’un peuple dont la gloire est occultée par les barbelés de la honte. Des baves de chiens lépreux contaminent notre mémoire. Des serpents venimeux aux geuls de caïman entortillent l’avenir dans la crevasse caverneuse de l’enfer. Des serpents venimeux de toute espèce et de toute couleur entordillent le midi du soleil dans dans la boue malodorante de la nuit.
<< Ils ont de grandes résolutions
aussi poisseuses que les poissons morts
sur la plage
ils ont fait de nos héros des êtres grimaçants
burlesques qu’on traîne au bout de la faim
de la soif et de la peur
ils nous déportent de notre mémoire
ils font de nos cris une traînée de fourmis folles
ils remuent tout le fond du marin
le sous-sol notre souffle chaque goutte
de notre sang pour y semer des abîmes >>
Qui sont ces »ils » dont nous parle le poète Bonel August ? Les dirigeants ? Les politiciens fantoches? La bourgeoisie ? L’Oncle Sam ? Nations-Unies ? Qui sont ces »ils » qui ont traîné le sang de Dessalines et Charlemagne Péralte dans la boue puante de mouches à vers ? Ils méritent d’être châtiés.
Nations unies, agaman de toutes les couleurs ; combien d’enfants violés par vos Soldats ? Calmaçon aux pattes galeuses dont l’odeur puante donne la nausée, ne pouvant plus supporter le poids de votre haleine caïman sur notre visage, on vous prie d’enlacer vos bottes sinon nous serons morts d’asphyxie. L’indignation, le désespoir et la détresse nous comblent le cœur, heureusement Georges Castera est la langue de notre plaie pour exprimer nos maux :
<< Nan Peyi lanmò pou piyay nan chak kwen lariegal wa di mal pou mal, otorite leta yo renmen wè nou nan sityasyon malouk. Yo tèlman fè e mal fè rive yon lè yo menm rive fè on seri peyi etranje ki pote non MINISTA tata lage tata ki simaye maladi kolera nan peyi nou >>.
La tuerie des porcs créoles, la destruction de l’agriculture, la famine ne suffisent pas car il fallait nous tuer parce que la vie est l’œil de l’espoir d’être Homme un jour. Une maladie serait mieux pour mettre le » point final » à l’existence de ce peuple rebelle, ainsi vient le choléra. Les cadavres s’érigent en gratte-ciel depuis les montagnes, les collines et plaines. Le pays des mornes derrière les mornes et doublement mornes, devient triplement mornes avec ces collines cadavériques qui s’étendent même dans les plaines. Tout ce désastre sous le silence mort et complice de l’ONU. Oh liberté ! Oh liberté ! Oh liberté !, tu es morte sous la main des casques bleus. Lisons ces quelques vers de Ricarson Dorcé :
<< Libète nou nwaye nan lokipasyon
Papa Desalin !
Peyi a ap vann solèy jounen
Peyi a ap dòmi bò chimen
Kolon touye tout kochon Kreyòl
Yo mouri pandye bouch louvri >>.
Notre souveraineté s’enfuit sur la glace du fleuve pour parer la pluie. Que nous dit le poète David Jean :
<< Listwa n plen flo
Li mande manman l pouki tout bòt sa yo
Bòt people
Bòt ble
Bòt wouj, blan ap monte desann
Desann drapo
Pran peyi n daso >>
Quand nos fils nous demanderont des comptes, quand les jeunes étoiles demanderont leurs places dans la voie lactée, qui leurs dira qu’on nous a rasé le crâne, les aisselles et qu’il ne nous restait qu’un vieux corps ensanglanté ? N’ayant plus de mots, les vers de Christopher Lorvens Fidel Orélien me servent du recours :
<< Qui dira ?
Les larmes
Se confondent avec la nausée
L’aube bercée par l’insomnie perd ses racines
Le vent balaie mes feuillages
par surcroît de clarté… >>
Nos enfants doivent briser ce carcan avec le poignard de la révolte mais, qui leur dira quoi faire ? Encore les vers de Christopher…:
<< Qui le dira…
La révolte doit consumer l’ancre des maux
Ancre des baïonnettes
Ancre rouge de sang bitumé jusqu’à l’absence >>.
Que faut il faire ? Laisser à nos enfants la tâche de briser le pilier de l’édifice dont le mortier est fait avec notre sang ? Non, nous dit Kermonde Lorvely Fifi :
<< Il est temps de lever le pont
La rivière gronde
Il est temps >>.
Le poète Inéma Jeudi renchérit :
<< Batman kè n mande lagè
Nan entansyon kout wòch
Kolon de pye long
Onètman m swete libète louvri je l
Pou lannwit mache pòs li >>.
Urgence, il faut chasser la nuit pour ouvrir les yeux du jour. Un soleil qui luit pour tous, c’est ce qu’il nous faut ; << Isit Solèy leve chak jou Poukiyès ? >>, se demande Makenzy Orsel. Ne faut-il pas retourner la question à Mme Emmelie Prophète Milcé ; est-ce que le soleil cesse de lever pour les riches pour luire pour tous ? Elle qui a écrit » L’occupation qui ne dit pas son nom » en 2013 et qui, dix ans plus tard apposera sa signature en qualité de Ministre pour faire revenir l’occupant qu’elle dénonçait autrefois. Quelle incohérence ! N’en souvient-elle pas ses passages narratifs :
<< Le choléra et les plus de six mille morts qu’il a déjà causé ne sont que des incidents dans la vie de cette population qui couche chaque soir avec la mort. Les institutions internationales, les ONG, les malins de tous bords se font bien les dents ici >>. Autrefois, la population couchait avec la mort à cause du choléra, écrivait-elle, mais elle oublie si aujourd’hui cette même population se réveille tous les matins avec des cadavres que traîne l’aube.
Elle continue ainsi :
<< Cette occupation est tellement bien instillée qu’elle ne suscite aucune résistance ; il n’y aura ni Charlemagne Péralte, ni Benoît Batraville. Les soldats des Nations-Unies sont en pays conquis, les ONG aussi. La méthode est bonne. La population n’est préoccupée que par sa survie, elle ne voit même plus ses hommes et femmes, même pas armer, même pas agressif, qui vont et viennent, oisifs, dans une forme de survie aussi >>. Quel nationalisme qu’on trouve chez Prophète ! Elle s’indignait contre la passivité de la population à l’égard des MINUSTAH en évoquant l’ardeur combative de Charlemagne Péralte et Batraville or elle est elle-même l’un des Conzé de sa génération. Autrefois si le peuple se préoccupait de sa survie, aujourd’hui il ne fait que compter les cadavres de ses enfants au nombre des étoiles du ciel. Et Mme Prophète Milcé, actuelle Ministre de la Justice, fait silence. C’est ça le nationalisme conjoncturel ! La présence étrangère, c’est ce qu’il faut chasser à tout prix pour la réhabilitation de notre souveraineté, Lyonel Trouillot en conclu ainsi :
<< Adieu l’ami, ma lettre sera brève : je veux que tu t’en ailles. Avec tes ONG, tes uniformes, ta bonne et ta mauvaise conscience, tes experts et tes apprentis, tes lettres de mission et tes primes de risques, ton étrange art de vivre qui pleure sur moi le matin en concluant que ton aide est nécessaire à ma survie et fait la fête le soir à the view ou Quartier latin >>.
<< Écrits pour conjurer la honte >>, est un recueil de textes littéraires réunis par Chantal Kénol et Lyonel Trouillot. Ces textes sont un raisin fermenté, autant qu’ils vieillissent autant qu’ils sont un bon vin. Il est l’expression typique de la résistance artistique et littéraire face aux dégénérescences des tissus de la société haïtienne d’aujourd’hui. Ce livre devrait être au cœur des réflexions dans toutes les Facultés SCIENCES HUMAINES et SOCIALES du pays à l’occasion de ces deux-cents vingtième anniversaire de la création du drapeau.
Dakovens PAULIN dit Thomas Délorme X